23/02/2009

Un an déjà...



Entretien avec Patrick Besenval, concepteur et scénariste des Animaux du Futur.

Pour imaginer l’expérience des Animaux du Futur à partir du scénario de "Future is Wild" et de la technologie de la réalité augmentée, le Futuroscope a fait appel à la compétence de scénarisation et de réalisation de la société XLargo. Déjà partenaire du Futuroscope en 1993 pour La Vienne dynamique, puis en 2005 pour Star du futur et tout récemment en 2008 pour La Citadelle du Vertige, XLargo a conçu ce parcours interactif étonnant, créant ainsi une nouvelle génération d’attraction dans laquelle le spectateur est acteur de sa propre expérience.

Comment est née l’idée de créer un parcours à bord de véhicules circulant devant différents décors ? Le visiteur du Parc voit beaucoup d’images dans des salles qui s’apparentent par leur disposition à des salles de cinéma, même si elles possèdent toujours un plus comme le Tapis Magique où les visiteurs survolent une image ou les salles sphériques où ils se trouvent immergés. Pour ce nouveau pavillon à la technique unique, le minimum était de trouver une forme à la fois originale et adaptée. L’idée étant d’emmener le public dans le futur à la découverte des animaux qui vivront sur notre terre dans 5, 100 et 200 millions d’années, l’idée de scénariser l’attraction comme un voyage est venue tout naturellement. Par ailleurs l’hypothèse d’un système de transport de visiteurs s’inspirant d’une attraction vue à l’exposition internationale d’Aichi au Japon était un des éléments de départ des responsables du Futuroscope.

Quel a été le rôle d’XLargo dans la réalisation de l’attraction ? XLargo a assuré la conception et la réalisation de cette attraction.

Quels ont été les talents et les compétences d’XLargo dans cette aventure ? Nous avons fait appel à un large panel de talents et de compétence que nécessitait un tel spectacle qui touche aussi bien à la scénarisation (Jean-Marc Besenval), qu’à la réalisation audio-visuelle (Patrick Besenval pour le show et Jean-Marc Besenval pour le pré-show), à la conception de décors et d’effets spéciaux (Michel Sauvage).

Quelles ont été les spécificités des Animaux du Futur par rapport à d’autres projets du Futuroscope tels que Star du Futur ou La Citadelle du vertige ? La réalité augmentée, mise en œuvre dans les Animaux du Futur, nécessitait de trouver les moyens de mixer le réel avec le virtuel. Pour que le visiteur croie à l’existence, à travers ses jumelles d’un élément virtuel, il ne suffit pas de les lui montrer dans une même perception. Comme en magie, il faut obtenir son adhésion à l’illusion de cette réalité augmentée. En cherchant à obtenir un tel effet, nous sommes arrivés à des scénarios participatifs, comme par exemple de faire en sorte que le visiteur agite, au bout de son bras (bien réel) un fumigène (virtuel) et qu’il parvienne ainsi à faire disparaître un tortunosaure (virtuel) de l’espace (réel, matériel) d’un abri rocheux où l’animal est apparu. Nous avions déjà exploré cette participation du visiteur au spectacle dans « Star du Futur » où celui-ci devient acteur et se voit à la fin de son parcours, jouer un rôle dans un film qui lui est projeté. Dans la Citadelle du Vertige, nous avons joué également avec l’ambiguïté entre réel et virtuel. Grâce au procédé mis au point par Gérard Majax, le visiteur a ainsi le sentiment de traverser la matière ou de voler au dessus du vide alors qu’il marche tranquillement dans un espace totalement vide. Le miroir posé sur son nez, fait que le visiteur perçoit le décor inspiré de l’univers du dessinateur Jean Giraud, alias Moebius, sous ses pieds, alors qu’il est accroché au dessus de sa tête.

Pourquoi avoir fait appel à Jamy pour guider de l’expérience ? Ce n’est pas simple de faire passer une information scientifique sur l’évolution possible des espèces animales dans 5, 100 et 200 millions d’années à un public qui vient d’abord chercher une distraction, des sensations et l’émerveillement de technologies nouvelles. Jamy Gourmaud, le célèbre animateur de « C’est pas sorcier » par sa notoriété, sa fantaisie et son sérieux, est apparu à Jean-Marc Besenval Le Monsieur Loyal idéal pour relever le défi. Sa disponibilité et son apport à l’attraction nous ont de l’avis général donné raison.

Dite-nous Patrick, qui est le Pod ? « Pod » est le nom générique de ces petites créatures de synthèse que l’on trouve dans bien des films depuis R2D2 et dans beaucoup de jeu vidéo. Jean-Marc Besenval a eu envie depuis le départ qu’une de ces créatures sympathiques accompagne le visiteur dans son voyage dans le futur et lui serve de guide. Quand il a eu l’idée de faire intervenir Jamy, le pod pouvait sembler faire double emploi. Mais nous l’avons maintenu parce qu’il avait déjà beaucoup de présence et qu’en plus cela permettait de donner à Jamy un interlocuteur, un candide, à qui il répondrait et ses questions seraient celles que le public pourrait légitimement se poser sur l’évolution.

Comment est né l’idée de finir le ride par une pieuvre-singe qui glisse sur la tête de son voisin ? C’est Valentin Lefèvre de Total Immersion qui a eu cette idée lors d’un brainstorming que nous avons eu. Je l’ai tout de suite adoptée et mis en œuvre avec les animateurs parce qu’elle répondait parfaitement à la recherche d’une participation du public dont j’ai expliqué plus haut qu’elle était la condition de la crédibilité du spectacle et de l’adhésion des visiteurs à cette réalité augmentée. Comment en effet ne pas croire à la présence de ces animaux quand vous les voyez non plus seulement dans un univers reconstitué devant vous en décor, mais quand elle interagit avec quelqu’un d’aussi réel que votre voisin. Le pieuvre singe qui vient s’accrocher aux jumelles est bien la preuve que ces animaux existent vraiment, ils ne sont plus seulement dans ce qui pourrait être perçu comme la convention d’un décor, mais dans le réel. Et puis cette idée était drôle et nous avons avec le Pod, avec le côté blagueur de Jamy essayé de faire un spectacle qui fasse sourire.

Aimeriez-vous les rencontrer ces animaux du futur ? Ben, c'est-à-dire que je risque d’être un peu vieux, sauf si on trouve le moyen de me faire évoluer sans trop de dégâts jusque là, mais même 5 millions d’années ça me semble un peu loin. Et puis je vais vous dire que ça fait des années que j’aime vivre dans ce qui est pour moi un vrai futur : dans l’image et l’imaginaire qu’elle porte. Et d’ailleurs, d’un seul coup je ne comprends plus votre question, parce que ces animaux, moi, je les ai rencontrés, j’ai même passé deux ans de ma vie avec eux et je sais où je peux les retrouver quand je veux, dans le nouveau pavillon du Futuroscope.





« Nous vivons de plus en plus au milieu des images - multiplication des écrans de télévision, des ordinateurs, des salles obscures de cinémas : elles se banalisent.
Notre envie est de leur redonner force, de trouver d’autres mises en espace, d’autres mises en scène. C’est cette tâche et notre expérience dans le domaine qui nous définissent comme scénographes d’images.» Patrick Besenval, PDG d’XLargo.

"Michel Serres - à la croisée des regards"


Pourquoi le chemin de Michel Serres, philosophe et académicien, croisa-t-il ce vendredi celui d’Xlargo, société de production que rien ne dispose semble-t-il à se mêler d’autre chose que de scénographies d’images, de spectacles, voire – ignominie – de parcs de loisirs ?
J’y vois tout d’abord le double signe d’une ouverture d’esprit de sa part qui se moque des distinctions académiques (l’édition d’un côté, le multi média de l’autre, le sacro-saint cinéma d’autre part encore … et les vaches seront bien gardées) et la marque d’un esprit qui de longue date a pris la mesure de ce que les médias digitaux changent en profondeur dans la connaissance.
Ensuite Michel Serres est d’une certaine manière à l’origine de mon parcours. A la fin des années 70, Pierre Samson (avec qui je me retrouve dans cette aventure) et moi-même nous sommes lancés dans un projet un peu fou pour l’époque (où l’interactivité se limitait à celle d’un menu basique d’un DVD d’aujourd’hui) de « dictionnaire audio-visuel ». Il s’agissait de faire des « portraits de mots » audio visuels et nous avions même proposé à Jacques Rigaud, alors à la tête du projet de Musée d’Orsay, 5 mots – Rire, Rouge, Revue, Galerie et Machine – dont une combinaison astucieuse de sous-rubriques devait permettre de faire le portrait de l’époque tout entière (non seulement picturale, mais sociale et politique comme en était chargée Madeleine Rébérioux) couverte par le musée.

Or le premier mot fut le mot « foire » que Michel Serres portait et incarnait avec la maestria qui fut toujours la sienne. Vint ensuite le mot « pied », plus facétieux, mais qui nous valut à Pierre et à moi-même le prix du festival du film scientifique en 1984. Nous allâmes le chercher à la grande Halle de la Villette où se préfigurait la future Cité des Sciences et de l’Industrie. J’y
restai cinq ans.

Trêve de narcissisme. On trouvera ci-après « foire » et « pied », ce qui est une contribution modeste et personnelle à ce parcours de l’œuvre de Michel Serres pour quoi il accepta de s’enfermer pendant 4 heures avec nous dans le studio de Postmoderne à Vanves.

21/02/2009

Un scénario, des scénarii


On n'associe pas très naturellement ce mot de scénario au domaine de l'exposition – sinon métaphoriquement - alors qu'on n'imaginerait pas un film sans scénario.
Venant moi-même de la production de films, j'ai eu envie d'ouvrir quelques pistes de réflexion sur ce point.
Ecrire le scénario de la visite d'un site, d'une installation, d'une exposition, c'est raconter une histoire, chercher un fil capable de nouer entre eux les éléments relevant du thème abordé par le site, par l'événement. Mais c'est aussi – et c’est moins clairement perçu - mettre au service du projet la créativité d’une approche : celle de la scénarisation.
On se méfie beaucoup de celle-ci du fait de la généralisation du ''storytelling'' dans tous les domaines du marketing ou de la politique et de sa capacité à instrumentaliser les contenus, à les mettre au service de la volonté de pouvoir du narrateur.
La scénarisation serait-elle l’avatar du storytelling dans le domaine de la muséographie ?
Je pourrais répondre en toute naïveté qu’au fil des différents projets que j’ai conçus et menés à terme, c’est mon désir de raconter des histoires qui a été la raison secrète de mon acharnement à mettre en narration les contenus. Cela éclaire assurément mes motivations et sans doute celles des maîtres d’ouvrage qui m’ont fait confiance parce qu’ils partageaient le même goût et le même plaisir. Cela ne légitime en rien la démarche.
Je pourrais donc avancer plus résolument que c’est la volonté de réduire l’écart qui existe entre le « public » d’une exposition et la plupart des contenus exposés qui m’a fait mettre en avant la médiation du narratif et du fictionnel. Et je ne crois pas que l’on puisse, comme en politique ou dans le domaine du marketing, critiquer que l’histoire déguise la réalité de l’entreprise et, créant un substitut du réel, utilise les « charmes » de la fiction dans le seul but d’assurer le pouvoir de l’énonciateur.
Les différents scénarios créés au fil des projets servent d’autres buts.
La Fièvre de l’argent à Sainte-Marie-aux-mines en Alsace (ouverture en mars 2009) Le point de départ était une mine d’argent désaffectée. Le monde des mineurs du XVIème siècle est étranger au nôtre. Pour amener le visiteur à y entrer, j’ai imaginé avec Thierry Bourcy, scénariste et romancier, l’histoire d’un jeune vénitien qui s’est échappé de Venise pour répondre au Berggeschrei, à l’appel aux mineurs qui fut lancé dans toute l’Europe au XVIème siècle. Cet aventurier, Vito Contarini, nous le faisons vivre et parler.
« A quinze ans, je n’avais pas envie d'une vie terne et trop sage.
Alors, j’ai quitté mon village pour Venise.

Venise m’envoûtait, non pas à cause des canaux dont les brumes pénètrent jusqu’aux os, mais à cause du feu. On n’est jamais longtemps sans le rencontrer. Aux rendez-vous des gondoliers qui s’y réchauffent, à Murano chez les maîtres verriers, au four des boulangers… Et dans l’atelier de Maître Baglioni, l’orfèvre de la place Saint-Marc.
J'ai obtenu de mon oncle d'y être placé comme apprenti. C’était un monde de richesse, de beauté, de brillances, de luxe.
Mon ardeur faisait des envieux. Un autre apprenti, jaloux de la vitesse à laquelle j'avais appris à ciseler l’argent, m'a accusé d'avoir volé une bague commandée par un riche banquier.
A Venise, les condamnés qui traversent le pont des soupirs, ne l'empruntent plus jamais dans l'autre sens. Leur prison est leur tombeau : mon destin serait donc ailleurs qu'à Venise.
J’ai décidé de fuir.
En chemin, une rumeur circulait selon laquelle on cherchait des hommes pour aller exploiter des mines d’argent, quelque part aux confins du Saint Empire et du Duché de Lorraine, sur la Lièpvrette. Il s’agissait du « Berggeschrei », un appel aux mineurs.
J’ai décidé de tenter ma chance et je me suis dirigé vers Sainte Marie. Il y régnait une véritable fièvre de l’argent !
Je n'avais qu'une hâte ; arriver et découvrir ce nouveau monde.
J’ai commencé à écrire mon aventure et je l’ai intitulée : "L'exploration du monde » de Vito Contarini. J’ai même pensé que je pourrais un jour la publierSur la première page, j’écrivis « Passage du Grand St Bernard le 20 septembre 1560 ».
Quelques semaines plus tard, j’arrivais à Sainte Marie. »
Nous avons radicalisé la position et décidé que toute l’exposition serait le récit de l’histoire de Vito Contarini. Nous y étions aussi invités du fait que le centre d’interprétation ne possédait aucun objet, aucune collection, pratiquement aucuns minéraux. Cette exposition spectacle est pour ainsi dire « macluhannienne » dans son principe : le médium fictionnel et narratif de « la Fièvre de l’argent » est le véritable message de Tellure. L’audio-guide qui diffuse cette histoire n’est pas un outil pédagogique ou de complément aux présentations, mais le média lui-même. De station en station, le visiteur suit les étapes de l’aventure de Vito.
« Ste Marie, le 25 novembre 1560.Le froid arrive avec l’automne sur la vallée. C’est un paysage un peu austère mais beau. Pour moi qui viens de Venise, c’est la montagne ! (…) Anselme, un mineur rencontré sur le chemin, m'a expliqué : "Ces vallées, Monsieur, ne sont pas faites d’un seul bloc.(...) Nous avons percé la montagne dans tous les sens, creusé des galeries qui permettent d’accéder aux zones de failles. On peut même traverser la montagne d’un bout à l’autre sans voir le jour (…) J’ai fait la connaissance de Fritz. Il a le titre de huttman, c’est-à-dire qu’il conduit l’exploitation dans la mine. Il sait négocier les salaires des ouvriers payés à la tâche. Je vais aller le débaucher à Ste Barbe. (…) Il faut que je trouve un peu d’argent pour payer tout ce petit monde à la tâche et tenir jusqu’à ce que je puisse vendre le minerai qu’ils vont trouver. (…)On m’avait dit que toute la vallée était couverte de forêts.

On ne pourrait pas le deviner…On ne voit que des taillis, des troncs coupés et des souches, des grandes, des petites. Je ne pensais pas qu’on avait besoin d’autant de bois dans les mines. Il revient sans cesse dans les conversations. (…)Pour la première fois depuis des semaines, je suis allé rendre visite à un ami de mon maître vénitien, Robert Wissenbourg, orfèvre de son état. Il parle de l'argent comme d'une maîtresse : doux et chaud sous la main. Il m’a montré les marteaux en argent gravé ou doré commandés par les confréries de mineurs pour leurs défilés. Moi, je lui ai parlé des baguettes de sourcier cueillies à la pleine lune pour trouver les filons, des pointerolles et de la dureté des gneiss. Je réalise que j’ai bel et bien tourné une page : d’orfèvre, je suis devenu mineur (...) Ste Marie, le 21 janvier 1561Demain est un grand jour, j’ai convoqué toute mon équipe à l’auberge de la fleur. Je n’arrive pas à trouver le sommeil alors je noircis ces pages encore et encore. Tant de choses se sont passées en cette année 1560 : j’ai quitté Venise, acheté une mine, trouvé une équipe. 1561, l’aventure commence enfin… »
Il n’est bien sûr pas question de généraliser ce type d’approche et de démarche. Mais si chaque projet fait finalement l’objet d’une approche scénaristique particulière, dans pratiquement tous les cas, j’aborde spontanément la question de la mise en scène d’abord sous l’angle du scénario.


 

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