21/02/2009

Un scénario, des scénarii


On n'associe pas très naturellement ce mot de scénario au domaine de l'exposition – sinon métaphoriquement - alors qu'on n'imaginerait pas un film sans scénario.
Venant moi-même de la production de films, j'ai eu envie d'ouvrir quelques pistes de réflexion sur ce point.
Ecrire le scénario de la visite d'un site, d'une installation, d'une exposition, c'est raconter une histoire, chercher un fil capable de nouer entre eux les éléments relevant du thème abordé par le site, par l'événement. Mais c'est aussi – et c’est moins clairement perçu - mettre au service du projet la créativité d’une approche : celle de la scénarisation.
On se méfie beaucoup de celle-ci du fait de la généralisation du ''storytelling'' dans tous les domaines du marketing ou de la politique et de sa capacité à instrumentaliser les contenus, à les mettre au service de la volonté de pouvoir du narrateur.
La scénarisation serait-elle l’avatar du storytelling dans le domaine de la muséographie ?
Je pourrais répondre en toute naïveté qu’au fil des différents projets que j’ai conçus et menés à terme, c’est mon désir de raconter des histoires qui a été la raison secrète de mon acharnement à mettre en narration les contenus. Cela éclaire assurément mes motivations et sans doute celles des maîtres d’ouvrage qui m’ont fait confiance parce qu’ils partageaient le même goût et le même plaisir. Cela ne légitime en rien la démarche.
Je pourrais donc avancer plus résolument que c’est la volonté de réduire l’écart qui existe entre le « public » d’une exposition et la plupart des contenus exposés qui m’a fait mettre en avant la médiation du narratif et du fictionnel. Et je ne crois pas que l’on puisse, comme en politique ou dans le domaine du marketing, critiquer que l’histoire déguise la réalité de l’entreprise et, créant un substitut du réel, utilise les « charmes » de la fiction dans le seul but d’assurer le pouvoir de l’énonciateur.
Les différents scénarios créés au fil des projets servent d’autres buts.
La Fièvre de l’argent à Sainte-Marie-aux-mines en Alsace (ouverture en mars 2009) Le point de départ était une mine d’argent désaffectée. Le monde des mineurs du XVIème siècle est étranger au nôtre. Pour amener le visiteur à y entrer, j’ai imaginé avec Thierry Bourcy, scénariste et romancier, l’histoire d’un jeune vénitien qui s’est échappé de Venise pour répondre au Berggeschrei, à l’appel aux mineurs qui fut lancé dans toute l’Europe au XVIème siècle. Cet aventurier, Vito Contarini, nous le faisons vivre et parler.
« A quinze ans, je n’avais pas envie d'une vie terne et trop sage.
Alors, j’ai quitté mon village pour Venise.

Venise m’envoûtait, non pas à cause des canaux dont les brumes pénètrent jusqu’aux os, mais à cause du feu. On n’est jamais longtemps sans le rencontrer. Aux rendez-vous des gondoliers qui s’y réchauffent, à Murano chez les maîtres verriers, au four des boulangers… Et dans l’atelier de Maître Baglioni, l’orfèvre de la place Saint-Marc.
J'ai obtenu de mon oncle d'y être placé comme apprenti. C’était un monde de richesse, de beauté, de brillances, de luxe.
Mon ardeur faisait des envieux. Un autre apprenti, jaloux de la vitesse à laquelle j'avais appris à ciseler l’argent, m'a accusé d'avoir volé une bague commandée par un riche banquier.
A Venise, les condamnés qui traversent le pont des soupirs, ne l'empruntent plus jamais dans l'autre sens. Leur prison est leur tombeau : mon destin serait donc ailleurs qu'à Venise.
J’ai décidé de fuir.
En chemin, une rumeur circulait selon laquelle on cherchait des hommes pour aller exploiter des mines d’argent, quelque part aux confins du Saint Empire et du Duché de Lorraine, sur la Lièpvrette. Il s’agissait du « Berggeschrei », un appel aux mineurs.
J’ai décidé de tenter ma chance et je me suis dirigé vers Sainte Marie. Il y régnait une véritable fièvre de l’argent !
Je n'avais qu'une hâte ; arriver et découvrir ce nouveau monde.
J’ai commencé à écrire mon aventure et je l’ai intitulée : "L'exploration du monde » de Vito Contarini. J’ai même pensé que je pourrais un jour la publierSur la première page, j’écrivis « Passage du Grand St Bernard le 20 septembre 1560 ».
Quelques semaines plus tard, j’arrivais à Sainte Marie. »
Nous avons radicalisé la position et décidé que toute l’exposition serait le récit de l’histoire de Vito Contarini. Nous y étions aussi invités du fait que le centre d’interprétation ne possédait aucun objet, aucune collection, pratiquement aucuns minéraux. Cette exposition spectacle est pour ainsi dire « macluhannienne » dans son principe : le médium fictionnel et narratif de « la Fièvre de l’argent » est le véritable message de Tellure. L’audio-guide qui diffuse cette histoire n’est pas un outil pédagogique ou de complément aux présentations, mais le média lui-même. De station en station, le visiteur suit les étapes de l’aventure de Vito.
« Ste Marie, le 25 novembre 1560.Le froid arrive avec l’automne sur la vallée. C’est un paysage un peu austère mais beau. Pour moi qui viens de Venise, c’est la montagne ! (…) Anselme, un mineur rencontré sur le chemin, m'a expliqué : "Ces vallées, Monsieur, ne sont pas faites d’un seul bloc.(...) Nous avons percé la montagne dans tous les sens, creusé des galeries qui permettent d’accéder aux zones de failles. On peut même traverser la montagne d’un bout à l’autre sans voir le jour (…) J’ai fait la connaissance de Fritz. Il a le titre de huttman, c’est-à-dire qu’il conduit l’exploitation dans la mine. Il sait négocier les salaires des ouvriers payés à la tâche. Je vais aller le débaucher à Ste Barbe. (…) Il faut que je trouve un peu d’argent pour payer tout ce petit monde à la tâche et tenir jusqu’à ce que je puisse vendre le minerai qu’ils vont trouver. (…)On m’avait dit que toute la vallée était couverte de forêts.

On ne pourrait pas le deviner…On ne voit que des taillis, des troncs coupés et des souches, des grandes, des petites. Je ne pensais pas qu’on avait besoin d’autant de bois dans les mines. Il revient sans cesse dans les conversations. (…)Pour la première fois depuis des semaines, je suis allé rendre visite à un ami de mon maître vénitien, Robert Wissenbourg, orfèvre de son état. Il parle de l'argent comme d'une maîtresse : doux et chaud sous la main. Il m’a montré les marteaux en argent gravé ou doré commandés par les confréries de mineurs pour leurs défilés. Moi, je lui ai parlé des baguettes de sourcier cueillies à la pleine lune pour trouver les filons, des pointerolles et de la dureté des gneiss. Je réalise que j’ai bel et bien tourné une page : d’orfèvre, je suis devenu mineur (...) Ste Marie, le 21 janvier 1561Demain est un grand jour, j’ai convoqué toute mon équipe à l’auberge de la fleur. Je n’arrive pas à trouver le sommeil alors je noircis ces pages encore et encore. Tant de choses se sont passées en cette année 1560 : j’ai quitté Venise, acheté une mine, trouvé une équipe. 1561, l’aventure commence enfin… »
Il n’est bien sûr pas question de généraliser ce type d’approche et de démarche. Mais si chaque projet fait finalement l’objet d’une approche scénaristique particulière, dans pratiquement tous les cas, j’aborde spontanément la question de la mise en scène d’abord sous l’angle du scénario.


 

Copyright 2009 - Tous droits réservés à Xlargo / Patrick Besenval | www.xlargo.com